Ruth Kedar est à la fois artiste et designer. Née au Brésil, elle s'est installée en Israël, où elle a obtenu un diplôme en architecture du Technion "Israel Institute of Technology". Elle est venue ensuite aux États-Unis pour suivre des études d'arts graphiques. Elle était professeur à l'université de Stanford quand on lui a confié la tâche de redessiner le logo de la société Google.
Si j'en crois la WayBack Machine et les coupures de presse de l'époque, le nouveau logo de Google a été mis en ligne le 8 septembre 1999. Et il est vrai qu'entre celui imaginé par Sergei Brin à l'aide du logiciel de dessin Gimp et la nouvelle mouture, il y a un monde… Vous pouvez voir les logos de la société ainsi que les deux premiers Doodles sur cette page de Google Logos Collection.
Il faut aussi rappeler que c'est Sean Anderson qui, le premier, a suggéré le mot Googolplex comme nom pour le moteur de recherche. Larry répondit que "Googol" était plus adapté (expression désignant un nombre très grand). Mais Sean, l'ayant mal compris, lança une recherche sur ce nom de domaine : Google. Comme ce dernier était libre, il fut immédiatement adopté.
Enfin, j'ai lu quelque part que la mention du copyright a été ajoutée car beaucoup d'utilisateurs - pas habitués au minimalisme de l'interface - croyaient que la page n'avait pas fini d'être chargée.
Nous avons pu interviewer Ruth Kedar qui a bien voulu répondre à nos questions. Extraits choisis :
À quelle occasion avez-vous été amenée à travailler pour Google ?
Larry Page et Sergei Brin étaient à la recherche d'un designer qui devait créer une nouvelle identité visuelle pour leur moteur de recherche. Un ami commun de l'université de Stanford nous a présentés. Ils m'ont demandé si je pouvais leur faire une première proposition avant de me confier la réalisation de leur projet. Ils ont apprécié mon approche ainsi que mes idées sur la question et c'est ainsi que l'affaire a été conclue.
Quelles ont été vos contraintes ou les directives de travail ?
Google voulait un logo qui soit très différent de celui des autres moteurs de recherche du moment (Yahoo, Excite, HotBot, LookSmart et Lycos) et qui soit le prolongement parfait de leur propre vision.
Google se présentait avant tout comme un moteur de recherche (et seulement un moteur de recherche) à l'inverse de ses concurrents qui étaient d'abord des portails à vocation commerciale et ensuite des moteurs.
Google voulait donnait l'idée que le service qu'il avait conçu était capable de fournir de manière rapide les résultats les plus exhaustifs possibles. Par ailleurs, si leur moteur utilisait des algorithmes complexes, les liens visibles dans la page des résultats étaient présentés de manière simple et devaient être dignes de confiance.
Enfin, Google n'était pas un site à vocation commerciale, et ne voulait pas donner l'idée d'un moteur touffu, conventionnel, quelque peu "suffisant" ou de type institutionnel.
La sélection des couleurs rappelle un procédé appelé la "Palette magique". Est-ce un choix délibéré ?
La sélection des couleurs n'est pas le fruit du hasard. Elles sont toutes extraites de la gamme des teintes primaires et secondaires de la palette originelle. Les primaires sont faits pour nous rappeler les souvenirs de notre petite enfance. L'ajout d'une couleur secondaire (le vert du L) suggère quelque chose de plus complexe et d'un peu irrévencieux.
Par ailleurs, cette gamme s'écarte de la palette classique car il y a toujours un élément imprévu qui se glisse dans n'importe quelle page de résultats comme, par exemple, celui renvoyé par le bouton "J'ai de la chance".
Note : n'hésitez pas à consulter cette page consacrée à la "Palette magique" vue à travers l'histoire de la peinture.
Pourquoi le point d'exclamation du précédent logo a-t-il été supprimé ?
Je me souviens que je devais supprimer le point d'exclamation mais je ne sais plus si cette volonté était de mon fait ou de celle de Google.
Note : c'était surement pour se démarquer de Yahoo!
Par qui votre travail a t-il été supervisé ?
Je travaillais directement sous le contrôle de Sergei Brin, Larry Page et Susan Wojcicki.
Avez-vous fait beaucoup de propositions différentes avant d'arriver au résultat que nous connaissons ?
Il y a eu beaucoup de tâtonnements et de nombreuses voies ont été explorées. Au cours de chacune de nos réunions, nous nous efforcions de faire coïncider au mieux notre propre vision avec son expression picturale et ce jusqu'au résultat final.
Pour quelles raisons vos autres propositions ont été refusées ?
Ce n'était pas tant que les autres propositions ne correspondaient pas mais ce logo a été accepté car il correspondait parfaitement aux objectifs que nous nous étions assignés :
Il était à la fois gai et très simple : toute la subtilité de la conception réside dans le fait qu'il n'apparaît pas être le fruit d'un quelconque effort. Les couleurs évoquent celles de l'enfance mais qui se seraient subrepticement échappées d'une sorte de carrousel magique.
Le biseautage et l'ombrage apportés aux éléments du logo sont ajoutés de manière discrète afin de donner l'impression que les lettres se soulèvent de la page… Cela confère au logo à la fois une sorte de poids mais aussi beaucoup de légèreté. Il y a donc quelque chose de solide mais aussi d'éthéré dans ce dessin...
À cette époque, le Times Roman était la police de prédilection du Web, alors que les polices de type "Sans-serif" étaient réservées au monde de l'édition papier. Je voulais utiliser la lisibilité d'une police de caractères sans empattement, mais en y ajoutant une sorte d'humour distancié. La police Catull qui a été choisie emprunte des éléments liés à l'utilisation d'instruments traditionnels comme la plume et le ciseau mais en y apportant une touche de modernité.
Quand nous sommes à la recherche de quelque chose, nous faisons immanquablement appel au passé. L'aspect historique de la police Catull était idéal et permettait de relier le vieux monde analogique avec celui émergent de la nouvelle ère numérique qui s'annonçait.
Il existait à cette époque deux grandes tendances : ceux qui cherchent à imiter les géants du Web comme Sun et SGI (polices en gras, tout en majuscules et utilisant des fontes "Sans-serif"), et ceux qui voyait dans l'approche de Yahoo! l'expression ultime du côté décalé de ce nouveau média qu'était l'Internet.
Le design devait donc rompre avec ces modes préétablies en assignant à Google une identité visuelle unique.
Note : Gustav Jaeger est le créateur de la police Catull pour la fondation Berthold en 1982.
Quelle a été la réaction des deux dirigeants de Google quand il sont vu la dernière mouture du logo ?
Lors de nos dernières réunions de travail et bien que nous approchions de la conclusion, nous avons tenté différentes combinaisons de couleurs. Au final, nous avons tous été très heureux du résultat.
Êtes-vous une "googlionaire" ?
Non, je ne suis pas une "googlionaire" :) Quand j'ai été choisi pour créer ce logo, nous nous somme mis d'accord sur un budget précis. J'ai donc était payée en argent et non en action…
N'êtes-vous pas un peu lasse que l'on retienne de vous que le travail effectué pour Google et, sans doute, moins le reste de votre œuvre ?
En fait, beaucoup de gens me connaissent en tant que designer ou conceptrice de cartes à jouer et n'ont souvent aucune idée de ce que j'ai fait pour Larry et Sergei.
Certaines des premières propositions qu'avait faites Ruth sont visibles à partir de cette page. Voici le lien vers la page officielle du logo de Google.
Vous pouvez également visiter la galerie en ligne de Ruth Kedar, découvrir les autres identités visuelles qu'elle a conçues ainsi que ses collections de cartes à jouer.
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